Dialogues # 02 mars: L'éducation moderne avec Catherine Robert et Myriam Cohen
L'éducation moderne avec Catherine Robert et Myriam Cohen
- Catherine Robert, professeur de philosophie à Paris et critique de théâtre
- Myriam Cohen, professeur des écoles et directrice d’école élémentaire à Vanves
Animatrice : Christine Bessi
Technique : Enrico Mastrogiovanni et Lucas Panthure
1.Présentation des invitées
La gloire de mon père de Marcel Pagnol.
“J’en ai connu beaucoup de ces maîtres d’autrefois. Ils avaient une foi totale dans la beauté de leur mission, une confiance radieuse dans l’avenir de la race humaine. Ils méprisaient l’argent, le luxe, ils refusaient un avancement pour laisser la place à un autre ou pour continuer la tâche commencée dans un village déshérité.”
2. Résumé du livre : Vous donnez un exergue à votre livre hilarant : une citation d’Une vie de Maupassant. Pourquoi ? Quelle illusion dénoncez-vous ?
3. Qu’est-ce que Merveille?
- Un manuel à rire de soi entre amis.
- Un livret pour une instruction publique et laïque ?
“Généreux amis de l’égalité , de la liberté, réunissez vous pour obtenir de la puissance publique une instruction qui rende la raison populaire, ou craignez de perdre bientôt tout le fruit de vos nobles efforts “ Condorcet, 5 mémoires sur l'instruction publique, 1791
-Un traité d’éducation rousseauiste ?
“Nous naissons faibles, nous avons besoin de force ; nous naissons dépourvus de tout, nous avons besoin d'assistance ; nous naissons stupides, nous avons besoin de jugement. Tout ce que nous n'avons pas à notre naissance et dont nous avons besoin étant grands, nous est donné par l'éducation. Cette éducation nous vient de la nature, ou des hommes ou des choses. Le développement interne de nos facultés et de nos organes est l'éducation de la nature ; l'usage qu'on nous apprend à faire de ce développement est l'éducation des hommes ; et l'acquis de notre propre expérience sur les objets qui nous affectent est l'éducation des choses.”
Emile, ou de l’éducation, Rousseau
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Un manifeste anarchiste fidèle à l’observation d’Elisée Reclus ?
"Mais, en un siècle où l’on proclame l’égalité virtuelle de tous les citoyens, il convient que les joies de l’étude et du savoir ne soient pas le privilège de quelques élus : il n’est pas rare que les hommes vraiment supérieurs par les connaissances, et surtout par cet art merveilleux de la parole et du style qui donne tant de prix à la pensée, se laissent aller à constituer avec leurs pareils une sorte d’aristocratie délicate où l’on goûte égoïstement de fines jouissances intellectuelles qui resteraient incomprises de la foule méprisée : tous ces petits cénacles disparaîtront aussi, car la science n’est plus forcément ésotérique comme à l’époque des persécutions et des martyres : elle peut se répandre librement au dehors et, par sa nature même, cherche à s’épancher de toutes parts. Quoi que dise le proverbe conseillant de ne « point jeter de perles devant les pourceaux », cette parole qui s’applique très justement au devoir de dignité que le porteur de la connaissance doit à son trésor, les vérités qu’il a le bonheur de posséder n’en sont pas moins un patrimoine commun dont il a simplement l’usufruit et dont il jouira d’autant plus qu’il aura le bonheur de le partager avec d’autres. Même seul, il faut qu’il le crie aux oiseaux de l’espace, aux astres, à la nature entière”. Elisée Reclus, L’Homme et la terre, éducation, 1905
6) Et le théâtre dans tout ça ?
En allant voir au théâtre l’adaptation des Travailleurs de la mer d’Hugo au théâtre Lucernaire jusqu’au 17 mars - par Clémentine Niewdanski et interprété par Elya Birman -, on goûte exactement la même impression de résistance du professeur, tel un Gilliatt, seul, en combat avec la mer et la nature. Un combat, difficile (à mort) mené par amour, dont on sait qu’il ne mène ni absolument au bonheur, ni toujours au malheur, mais qu’il ne récompense pas souvent les plus vertueux. On se souvient aussi du Discours d’Hugo contre Falloux à l’assemblée
Qu’est-ce qui permet de résister dans la tempête libérale à laquelle est soumise l’éducation aujourd’hui ?
Discours 15 mars 1850. “Voici donc, selon moi, l'idéal de la question : L'instruction gratuite et obligatoire dans la mesure que je viens de marquer. Un immense enseignement public donné et réglé par l'État, partant de l'école de village et montant de degré en degré jusqu'au, Collège de France, plus haut encore, jusqu'à l'Institut de France. Les portes de la science toutes grandes ouvertes à toutes les intelligences ; partout où il y a un champ, partout où il y a un esprit, qu'il y ait un livre. Pas une commune sans une école, pas une ville sans un collège, pas un chef-lieu sans une faculté. (Bravos prolongés.) Un vaste ensemble, ou, pour mieux dire, un vaste réseau d'ateliers intellectuels, lycées, gymnases, collèges, chaires, bibliothèques, mêlant leur rayonnement sur la surface du pays, éveillant partout les aptitudes et échauffant partout les vocations ; en un mot, l'échelle de la connaissance humaine dressée fermement par la main de l'État, posée dans l'ombre des masses les plus profondes et les plus obscures, et aboutissant à la lumière. Aucune solution de continuité : le cœur du peuple mis en communication avec le cerveau de la France. (Immenses applaudissements.) Voilà comme je comprendrais l'éducation publique nationale. Messieurs, à côté de cette magnifique instruction gratuite, sollicitant les esprits de tout ordre, offerte par l'État, donnant à tous, pour rien, les meilleurs maîtres et les meilleures méthodes, modèle de science, et de discipline, normale, française, chrétienne, libérale, qui élèverait, sans nul doute, le génie national à sa plus haute somme d'intensité, je placerais sans hésiter la liberté d'enseignement, la liberté d'enseignement pour les instituteurs privés, la liberté d'enseignement pour les corporations religieuses ; la liberté d'enseignement pleine, entière, absolue, soumise aux lois générales comme toutes les autres libertés, et je n'aurais pas besoin de lui donner le pouvoir inquiet de l'État pour surveillant, parce que je lui donnerais l'enseignement gratuit de l'État pour contrepoids. (Bravo ! bravo !). Ceci, Messieurs, je le répète, est l'idéal de la question. Ne vous en troublez pas, nous ne sommes pas près d'y atteindre, car la solution du problème contient une question financière considérable, comme tous les problèmes sociaux du temps présent.Messieurs, cet idéal, il était nécessaire de l'indiquer, car il faut toujours dire où l'on tend ; il offre d'innombrables points de vue, mais l'heure n'est pas venue de le développer. Je ménage les instants de l'Assemblée, et j'aborde immédiatement la question dans sa réalité positive actuelle. Je la prends où elle en est aujourd'hui, au point relatif de maturité où les événements d'une part, et d'autre part la raison publique l’ont amenée.A ce point de vue restreint, mais pratique, de la situation actuelle je veux, je le déclare, la liberté de l'enseignement ; mais je veux la surveillance de l'État, et comme je veux cette surveillance effective, je veux l'État laïque, purement laïque, exclusivement laïque. L'honorable M. Guizot l'a dit avant moi, en matière d'enseignement, l'État n'est pas et ne peut pas être autre chose que laïque.”
Préface aux Travailleurs de la mer, Hauteville House, mars 1866, Victor Hugo.
“La religion, la société, la nature ; telles sont les trois luttes de l’homme. Ces trois luttes sont en même temps ses trois besoins ; il faut qu’il croie, de là le temple ; il faut qu’il crée, de là la cité; il faut qu’il vive, de là la charrue et le navire. Mais ces trois solutions contiennent trois guerres. La mystérieuse difficulté de la vie sort de toutes les trois. L’homme a affaire à l’obstacle sous la forme superstition, sous la forme préjugé, et sous la forme élément. Un triple anankè pèse sur nous, l’anankè des dogmes, l’anankè des lois, l’anankè des choses. Dans Notre-Dame de Paris, l’auteur a dénoncé le premier ; dans les Misérables, il a signalé le second ; dans ce livre, il indique le troisième. À ces trois fatalités qui enveloppent l’homme se mêle la fatalité intérieure, l’anankè suprême, le cœur humain.”
Les musiques de l’émission :
-La femme du vent, Anne Sylvestre chantée par Maissiat et Laura Cahen
-Makhnovtchina, Bérurier noir.
-L’âge d’or, Léo Ferré
Les conseils de lecture et de sorties de Dialogues :
-Les aventures de Merveille, traité d’éducation moderne illustré par Valérie Ndong, Eliott éditions, 2023, 174 pages-
-La philosophie de Maupassant, Jean Salem, Ellipses, 2015
-L’homme et la terre, De l’éducation, Elisée Reclus, Payot
-Exposition Bérurier noir, du Galerie des Donateurs
-Au théâtre du Lucernaire (jusqu’au 17 mars) Paris 6e : Les travailleurs de la mer, adaptation du texte de Victor Hugo par Clémentine Niewdanski, interprété par Elya Birman
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DIFFUSION sur la FM :
Lundi - vendredi : 4h -12h et 17h - 21h
Samedi : 16h - minuit
Dimanche : 00h - 14h et 22h - 4h