Dialogues #1mars 2025: Notre rapport à la vérité: Voix d'élèves de terminale d'aujourd'hui .

Emission du 1er mars 2025
Animatrice :Isabelle Raviolo
Invités: élèves de terminale
Le texte ci-dessous constitue la préparation de l'entretien par Isabelle Raviolo et ne rend donc pas compte de la vitalité et la pluralité des voix de l'échange.
Avons-nous basculé dans un univers orwellien ? Dans nos sociétés où règnent les Fake news et la manipulation de la vérité, on peut s'interroger. Pourquoi le mensonge sous toutes ses formes est-il devenu plus séduisant que la recherche de la vérité ? Comment en est-on arrivé à la situation où les mensonges les plus éhontés ne semblent plus répréhensibles ? Nos jeunes invités, tous lycéens, débattront aujourd'hui sur ces questions et chercheront avec vous, chers auditeurs, comment construire un monde commun ajusté aux aspirations de justice des hommes et des femmes?
-Le courage que nous considérons encore comme indispensable à l’action politique et que Churchill a nommé un jour : « La première des qualités humaines parce qu’elle est la qualité qui garantit toutes les autres », ne satisfait pas notre sens individuel de la vitalité, mais il est exigé de nous par la nature même du domaine public. Car ce monde qui est le nôtre, par cela même qu’il existait avant nous et qu’il est destiné à nous survivre, ne peut simplement prétendre se soucier des vies individuelles et des intérêts qui leur sont liés ; en tant que tel, le domaine public s’oppose de la façon la plus nette possible à notre domaine privé où, dans la protection de la famille et du foyer, toute chose sert et doit servir la sécurité du processus vital. Même de quitter la sécurité protectrice de nos quatre murs et d’entrer dans le domaine public, cela demande du courage, non pas à cause de dangers particuliers qui peuvent nous y attendre, mais parce que nous sommes arrivés dans un domaine où le souci de la vie a perdu sa validité. Le courage libère les hommes de leur souci concernant la vie, au bénéfice de la liberté du monde. Le courage est indispensable parce que, en politique, ce n’est pas la vie mais le monde qui est en jeu. (H. Arendt, La crise de la culture, « Qu’est ce que la liberté ? » p. 202-203). En nous libérant de notre particularité, le courage nous élève à l’universel et ouvre notre être aux dimensions de la liberté du monde.
-Le courage nous conduit à poser des actes qui nous mettent devant l’échec possible, et le courage ne va pas alors sans l’expérience d’une angoisse que surmonte l’homme courageux dès lors qu’il a la volonté de ne pas y céder. Ce choix de la résistance, de l’engagement conduit le sujet à faire l’épreuve d’une confrontation au réel, à son coefficient d’adversité. Nous sommes condamnés à l’engagement de la même façon que nous sommes condamnés à être libres. L’engagement n’est pas l’effet d’une décision volontaire, d’un choix qui lui préexisterait : je ne décide pas d’être ou non engagé car je suis toujours déjà engagé, comme je suis jeté au monde. L’engagement et le délaissement sont un seul et même état de fait. Cette précision est fondamentale car c’est sur cette conception de l’engagement que l’existentialisme affirme ses positions. L’engagement n’est pas l’enrôlement, ni même l’adhésion à tel ou tel parti politique. Il n’est pas même déterminé car il refuse justement la réduction de la situation humaine à un simple déterminisme des causes et des choses.
- L’engagement sartrien s’oppose en ce sens au matérialisme selon lequel l’homme n’est que le reflet d’une situation de base économico-sociale.
- Mais il s’oppose également à l’idéalisme qui postule la contingence de toute situation par rapport à l’éternité d’une « nature humaine». « Nous sommes embarqués » disait déjà Pascal.
- C’est dans un sens identique que Sartre proclame le devoir d’engagement: nous sommes condamnés à être libres, sans cesse appelés à choisir entre différents possibles. Dans ce cas, personne ne peut prétendre à la neutralité.
L’homme, cet être-au-monde, détient une liberté prise dans les choses et insérée en elles. En d’autres termes, le sujet ne saurait se retirer au sein d’une pure subjectivité. Donc, refuser de choisir implique néanmoins un choix car c’est choisir de ne pas choisir. Ainsi, quoique nous fassions, nous sommes toujours dans le coup, « embarqués », et par là même responsables. On ne peut pas, pour Sartre, ne pas être engagé. L’engagement est également une obligation morale pour celui qui, refusant le confort de l’attitude contemplative ou de la foi, tire les conséquences éthiques et politiques de son être en situation. C’est particulièrement le cas de l’intellectuel et de l’écrivain, qui parce qu’ils ont le pouvoir de dévoiler le monde, se doivent de s’engager. Ce sera le cas dans Qu’est-ce que la littérature ? Quand Sartre affirme : « Il n’y a de liberté qu’en situation, il n’y a de situation que la liberté », c’est plus qu’une réciprocité, c’est un rapport indissociable qui élimine d’une part, la liberté formelle abstraite, et, d’autre part, la réduction au conditionnement. De même, la notion de situation suppose la facticité, nécessité du fait, au cœur de laquelle s’exerce chaque liberté. Ma place, mon passé, mon prochain, ma mort, constituent des limites, conscientes ou non, devant lesquelles naissent mes possibilités de choix au cœur même d’une situation que je n’ai pas choisie : «Le pour-soi est libre, mais en condition, et c’est ce rapport, de la condition à la liberté que nous cherchons à préciser sous le nom de situation. » On atteint là les limites de la liberté et par-là les limites de l’engagement. Autrement dit, n’importe qui ne peut faire n’importe quoi n’importe quand ni n’importe où.
La vigueur qu’implique le courage est donc celle du sujet qui ose se risquer au-delà des limites imposées par ses peurs, ses angoisses, qui franchit la limite, avec la démesure qui convient à cette force dès lors qu’elle déporte le sujet hors de lui-même, de son être et de son intérêt particulier. Si le courage est une vertu, il est en quelque sorte cette vertu dynamique en cela qu’elle inscrit le sujet dans un dépassement incessant de son agir. Or l’action courageuse a cela de particulier qu’elle s’inscrit entre poltronnerie et témérité comme si le courage impliquait la prise de conscience du courage, un discernement nécessaire qui fonde le courage sur une prudence. Il ne s’agit pas en cela de limiter le courage ou de l’encadrer dans des normes de conduite, mais de lui imprimer une direction qui l’inscrit dans la finalité du meilleur. L’homme courageux ne vit donc pas pour lui-même : son courage est peut-être même l’épreuve de son détachement des représentations, des images et de lui-même, le courage nécessitant un engagement dans le monde, dans la sphère publique en vue du bien commun. Nous risquons notre vie pour servir un idéal, une foi, une conviction qui nous transcende et qui est au service de l’intérêt général. Si le courage est l’engagement de l’homme libre qui réinvente le courage comme événement toujours nouveau, on pourrait alors dire que le courage est ce défi de résistance de la pensée, cette conquête des lumières qui est aussi un défi lancé aux normes.
Ainsi l’expérience du courage est peut-être, de façon ultime une expérience solitaire non que cette solitude implique l’isolement. Car elle dessine au contraire le sentier de la liberté qui s’éprouve et qui donne à l’homme ce que Nietzsche appelait la grande santé, le gai savoir – une santé qui est la vigueur nouvelle que Rimbaud recherchait et que tout poète, tout philosophe, tout esprit aventurier s’efforce de vivre et d’accomplir. Or le courage compris comme tel n’exige-t-il pas alors une certaine dose de folie, un écart par rapport à l’égard de la raison comme la marque même de son indépendance ?
« Et maintenant, pour avoir été longtemps en route, nous autres Argonautes de l’idéal, plus courageusement que de raison, et nonobstant maints naufrages et dommages, jouissant d’une santé meilleure qu’on ne voudrait nous le permettre, une santé redoutable, à toute épreuve – maintenant il nous semble qu’à titre de récompense, nous soyons en vue d’une terre inexplorée dont nul encore n’a délimité les frontières, d’un au-delà de toutes les terres, de tous les recoins jusqu’alors connus de l’idéal, d’un monde d’une telle surabondance de choses belles, étranges, problématiques, effrayantes et divine que notre curiosité autant que notre soif de possession s’en trouvent mises hors d’elles-mêmes. » (Nietzsche, Gai savoir § 382).
Le courage est alors le grand oui affirmé à la vie, la force de ne pas se résigner, d’embrasser la vie dans sa complexité et son étrangeté.
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